http://www.courrierinternational.com/article/2004/03/04/bienvenue-a-djeddah-nouveau-paradis-gay
Dans les centres commerciaux de verre et de marbre de Djeddah, une ville saoudienne cosmopolite et relativement décontractée en bordure de la mer Rouge, les jeunes Saoudiens profitent de l’apparition d’établissements gays de mieux en mieux tolérés. Certains centres sont réputés pour être des lieux de drague et on y trouve même des cafés gays. Au nord de la ville, une villa privée fait office de discothèque gay une fois par semaine. Les jeunes clients - dont beaucoup sont rentrés des Etats-Unis après les attentats du 11 septembre 2001 - disent se rencontrer par le biais d’Internet. C’est là tout le paradoxe de l’Arabie Saoudite : alors que la sodomie est passible d’exécution, dans la pratique, l’homosexualité est tolérée. “Je ne me sens pas du tout opprimé”, raconte un jeune homme de 23 ans qui se trouve dans l’un de ces cafés en compagnie d’amis saoudiens ouvertement gays, habillés à l’occidentale et parlant couramment l’anglais. “J’ai entendu dire qu’après le 11 septembre, un étudiant saoudien qui allait être expulsé pour des raisons de visa a demandé l’asile politique en invoquant son homosexualité”, poursuit-il, déclenchant le rire de ses amis. “Pourquoi a-t-il agi ainsi ? Ici, nous avons plus de liberté que les couples hétéros. Contrairement à nous, ils ne peuvent pas s’embrasser en public, ni marcher dans la rue en se tenant la main.” Les propositions de réforme saoudiennes, alliées à la volonté du royaume de se défaire de sa réputation de régime encourageant l’extrémisme et l’intolérance, ont peut-être bénéficié à la communauté gay de cette société profondément islamique. Peu après les attentats du 11 septembre, dont les auteurs étaient pour la plupart des ressortissants saoudiens, un diplomate de Riyad en poste à Washington a démenti les allégations selon lesquelles les homosexuels étaient décapités dans le royaume, tout en admettant ouvertement qu’en Arabie Saoudite la sodomie était pratiquée “quotidiennement” par des hommes consentants. Même le chef de la police religieuse a reconnu ultérieurement l’existence d’une communauté gay dans le pays.
Une culture gay se développe chez les jeunes
Le traitement réservé aux homosexuels a attiré l’attention internationale en janvier 2002, quand un rapport du ministère de l’Intérieur révéla que trois hommes de la ville d’Abha, dans le sud du pays, avaient été “décapités en raison de leur homosexualité”. Le rapport provoqua un tollé en Occident et a été dénoncé par les associations gays et les mouvements de défense des droits de l’homme. Tariq Allegany, porte-parole de l’ambassade d’Arabie Saoudite à Washington, a aussitôt démenti cette version des faits en déclarant que les individus en question avaient été décapités pour des actes de pédophilie. “Je pense que la sodomie est pratiquée quotidiennement en Arabie Saoudite, mais elle n’est pas toujours punie par des exécutions.” Un diplomate occidental en poste à Riyad, informé des détails de l’affaire, a confirmé que les trois hommes avaient été décapités pour viol. “Ils ont séduit de très jeunes garçons, puis se sont filmés en train de les violer. Ensuite, ils les ont menacés de montrer les cassettes pour les forcer à leur présenter des amis”, a-t-il indiqué. Si l’homosexualité est illégale en Arabie Saoudite, il n’est pas toujours vrai qu’elle soit sanctionnée. Bien que des étrangers homosexuels aient été expulsés dans les années 90, “aucun Saoudien n’a jamais été poursuivi pour son homosexualité. En fait, cette notion n’existe pas”, souligne le diplomate occidental. Depuis le tumulte suscité par l’affaire des décapitations, l’unité des services Internet du royaume, chargée de bloquer les sites jugés anti-islamiques ou politiquement dangereux, a laissé les surfeurs saoudiens accéder à la page d’accueil du site GayMiddleEast.com, après avoir été bombardée de courriels de protestation en provenance des Etats-Unis. Selon A. S. Getenio, directeur du site, l’Arabie Saoudite craignait sans doute la mauvaise publicité que lui aurait value le blocage de l’accès à son site “à une époque où elle menait une campagne publicitaire de plusieurs millions de dollars aux Etats-Unis pour améliorer son image”. Ibrahim ibn-Abdullah ibn-Ghaith, chef de la police religieuse (le Comité pour la prévention du vice et la promotion de la vertu), a reconnu, dans des termes exceptionnellement mesurés, qu’il y avait des homosexuels en Arabie Saoudite, tout en soulignant la nécessité d‘ “instruire les jeunes” sur ce “vice”. Dans un dossier sans précédent de deux pages, le quotidien Okaz révélait que l’homosexualité était “endémique” chez les lycéennes. Il justifiait la parution de l’article par une phrase de l’épouse de Mahomet selon laquelle “il ne devrait pas y avoir de timidité en religion”. Le journal évoquait les relations homosexuelles dans les toilettes des établissements scolaires, les brimades subies par les adolescentes qui refusaient les avances de leurs camarades et le désarroi des professeurs devant le refus des élèves de changer de comportement. M. Ghaith a rejeté l’idée d’envoyer ses agents enquêter sur place. Armés de bâtons, ceux-ci traquent systématiquement les hommes et les femmes qui se montrent ensemble en public et qu’ils soupçonnent de ne pas avoir de liens de parenté. “Cette perversion est présente dans tous les pays”, a-t-il expliqué au journal. “Ici, ils [les homosexuels] sont peu nombreux.” Sa version est réfutée par les professeurs et les élèves qui soutiennent que, en l’absence d’autres exutoires, une culture gay s’est fatalement développée chez les jeunes. “Un garçon particulièrement beau obtient invariablement d’excellentes notes aux examens, car il est toujours le favori de l’un ou l’autre de ses professeurs”, explique Mohammed, professeur d’anglais dans un lycée d’Etat de Riyad. “Je connais aussi beaucoup de garçons qui ratent délibérément leurs examens de sortie pour pouvoir rester avec leurs petits amis plus jeunes.” Ahmed, 19 ans, étudiant dans une université privée de Djeddah, affirme que le fait d’avoir un petit ami au lycée ne l’a jamais gêné. Même s’il rejette catégoriquement l’étiquette de gay, il admet avoir aussi un “ami très cher” à la faculté. “Ce sont ceux qui n’ont pas d’ami qui sont gênés de l’avouer. Lorsqu’on présente son ami aux copains, on emploie la formule ‘al walad hagi’[le garçon qui m’appartient]. Au début du trimestre, on passe en revue tous les nouveaux pour repérer les plus helou [mignons] et on cherche le moyen de faire leur connaissance.”
Puritanisme
http://www.courrierinternational.com/article/2004/03/04/bienvenue-a-djeddah-nouveau-paradis-gayL’arrestation en 2001 d’une cinquantaine d’Egyptiens accusés d’homosexualité sur une péniche du Caire, dite Queen Boat, et le scandaleux procès qui s’ensuivit a encouragé d’autres Etats arabes à suivre cette voie pour prouver à leurs opinions leurs capacités à préserver la “morale” dans leur pays. C’est ainsi que l’Etat libanais s’est livré la semaine dernière à une rafle d’homosexuels à Beyrouth. L’information a été rapportée par le quotidien libanais pourtant libéral An Nahar dans des termes dignes d’un autre âge : la police a arrêté des hommes “atteints de déviation sexuelle”, qui avaient des “pratiques déviantes” et donc sont considérés comme des “délinquants sexuels”. Les hétéros ne sont pas mieux lotis. A Bahreïn, une manifestation a entraîné l’arrêt de la diffusion sur la chaîne panarabe MBC du Raïs, une Loft Story arabe qui se tournait à Manama, avec des filles et des garçons, pourtant dans deux ailes séparées d’un appartement qui comprenait une salle de prière. De vaines précautions qui n’ont pas suffi à apaiser l’ire des manifestants réticents à toute promiscuité entre les deux sexes.